Abd Al Malik signe la mise en scène des Justes d’Albert Camus dans une version musicale au théâtre le Châtelet à Paris. Parmi les acteurs, Karidja Touré dans le rôle d’Alexis Voinov. Après le cinéma, c’est un nouveau défi pour la jeune actrice.
Echos d’orient : Quelques jours avant la première représentation, dans quel état d’esprit te trouves-tu?
Karidja: Je suis en confiance, un petit peu stressée à la fois, mais comme je fais confiance au metteur en scène, ça m’apaise vraiment. Je suis entre le stress et la confiance.
Quelles ont été tes principales motivations pour jouer dans la pièce de théâtre les justes ?
C’est un moyen de me surpasser en tant que comédienne et me prouver que je suis capable de faire plusieurs choses et pas seulement du cinéma. Jouer le rôle, qui au départ est un rôle d’homme dans le livre d’Albert Camus, me permet de me surpasser.
Nous t’avons découverte au cinéma dans le film Bandes de filles. Le théâtre est-il un nouveau défi pour toi ?
Oui, c’est un nouveau défi. Je n’ai jamais fait de théâtre avant, ni même pris des cours. Dans la vie de tous les jours, j’aime bien les challenges et, quand Abd Al Malik est venu me voir pour me proposer ce rôle, c’était un grand « oui » parce que c’est différent du cinéma et je voulais découvrir le théâtre.
Qu’as-tu découvert sur toi à travers le théâtre ?
Je n’ai jamais autant travaillé de textes de toute ma vie ! Au cinéma, c’est un peu plus facile, les textes ne sont pas aussi longs et, au théâtre, on ne peut pas dire action-coupez. C’est action du début de l’acte I au dernier acte, tu n’as pas vraiment droit à l’erreur. Tu dois te concentrer davantage et tout donner sur scène. Je suis quand même un peu timide c’est-à-dire que, sur scène, je n’osais pas proposer certaines choses alors que les autres comédiens avaient plus l’habitude que moi. Je n’étais pas à l’aise avec mon corps et ce sont des choses que j’ai apprises. Ce qui a été difficile, en plus de travailler mon personnage et ma manière de jouer sur scène, c’était aussi de travailler avec la musique. On a beaucoup travaillé, mais on est entouré de personnes qui nous dirigent bien, donc au final, la difficulté devient un challenge plaisant.
Comment s’est passée ta collaboration avec Abd Al Malik, metteur en scène de la pièce ?
Le travail s’est super bien passé. Je suis arrivée un peu en dernière minute par rapport aux autres qui avaient déjà formé le groupe depuis au moins un an pour la réalisation de cette pièce. Je connaissais le travail d’Abd Al Malik à travers son premier film que j’ai beaucoup aimé et j’aime travailler avec les bonnes personnes. Abd Al Malik en est une. C’est quelqu’un sur qui on peut compter et qui peut te diriger très facilement, qui sait comment te parler. À partir du moment où il me donnait des instructions, je les suivais à la lettre. C’est un travail d’équipe et c’est une personne en qui on peut avoir confiance.
Tu interprètes le rôle masculin d’Alexis Voinov. Comment as-tu abordé ce personnage ?
Très naturellement. Certes, dans la pièce d’Albert Camus, c’est un homme, mais à aucun moment Alexis ne peut pas ne pas être une femme. On n’a pas cogité au fait que ce soit un homme, c’était juste les vêtements qui allaient changer et il fallait juste le jouer comme il était décrit dans le livre. Pour nous, c’était naturel.
Comment décrirais-tu ton personnage et y a-t-il des ressemblances avec toi ?
Elle est complètement mon opposée ! C’est la plus jeune des personnages qui a aussi une certaine fragilité. Elle n’est pas sûre d’elle, mais a tout de même cette volonté de vouloir combattre avec les autres membres du groupe. Au fur et à mesure, elle se surpasse et se rend compte de qui elle est réellement et de ce qu’elle veut faire dans la vie.
« J’ai compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice. Il fallait donner sa vie pour la combattre » est une réplique de ton personnage, comprends-tu ce sens du dévouement ?
Est-ce que l’on ne serait pas capable de juste donner sa vie, d’être prêt à tout, à faire des choses graves pour arriver à ses fins ? C’est aussi une des questions qu’Albert Camus se pose et c’est aussi l’un des sujets de la pièce. Est-ce que la fin justifie les moyens? C’est le grand questionnement de cette pièce et c’est ce qui la rend intéressante.
On est tous d’origine différente et retrouver toute cette diversité sur scène, c’est beau
Basée sur des faits réels, la pièce nous amène à plusieurs réflexions sur le terrorisme, le sacrifice, la justice… Que t’évoquent ces notions ?
C’est assez compliqué. Faire justice soi-même pour que les autres puissent avoir une meilleure vie, c’est aussi penser aux autres, mais c’est une mentalité que je n’aurais pas forcément. Mais c’est sûr que, des fois, il y a des choses qui doivent être faites pour instaurer un meilleur mode de vie. Je pourrais par exemple citer Rosa Parks ou Martin Luther King, des gens qui ont ouvert la voie pour une bonne cause et grâce auxquels, aujourd’hui, nous avons une certaine liberté.
Quelle définition donnerais-tu à la révolution ?
C’est se battre pour une cause qui, au final, va embellir le futur ou changer le cours des choses.
Cette pièce écrite en 1949 par Albert Camus peut-elle avoir un écho dans notre société d’aujourd’hui ?
Bien sûr. Pour moi, elle a forcément un écho basé sur d’autres questions et débats d’actualité d’aujourd’hui.
Qu’as-tu découvert d’Albert Camus à travers cette pièce?
À l’école, je me souviens avoir lu L’Étranger ; aujourd’hui, j’ai lu Les Justes. Je n’ai lu que deux livres d’Albert Camus, je ne saurais pas définir non plus sa personne, mais c’est quand même quelqu’un qui se questionne beaucoup, je dirais et, forcément, ça joue sur la psychologie des lecteurs qui lisent ses œuvres.
Quel est ton passage préféré de la pièce ?
Le passage romantique avec Dora et van Kaliayev et également mon passage de l’acte III où je dis que je ne suis pas faite pour la terreur et que je préfère partir parce que c’est aussi un moment très fort dans la pièce. Mais il y a beaucoup de moments dans la pièce qui sont beaux.
Que dirais-tu aux personnes qui souhaiteraient venir voir la pièce ?
Je parlerais de tous les personnages qui jouent dans la pièce. On est tous d’origine différente, on est tous mélangé, retrouver toute cette diversité sur scène, c’est beau et les gens devraient soutenir cela.
Tu as aussi participé à l’écriture de l’ouvrage Noire n’est pas mon métier. En quoi était-ce important pour toi ?
Au moment où Aïssa Maïga est venu me contacter pour écrire ce livre, j’étais très émue. En France, il n’y a pas beaucoup d’acteurs ou actrices noirs connus et beaucoup passent des castings auxquels ils n’ont pas accès à cause de leur couleur de peau. C’était aussi très intéressant de rencontrer toutes ces femmes actrices depuis des années qui essaient de vivre de leur passion et qui ont vécu le racisme. C’était important de faire connaître ça au public et beaucoup de gens se sont identifiés. On espère faire changer les choses.
C’est aussi une forme de révolution, non?
Oui, exactement. C’était notre révolution 2019 et ça continuera.
F.C