Après l’agression verbale d’une mère voilée par un élu du Rassemblement National
lors d’une sortie scolaire le 11 octobre, le sujet du port du voile est propulsé, une fois de plus, sur le devant de la scène.
« Le voile ? On en parle à longueur d’année. C’est fatiguant. Il y a des problématiques plus importantes sur lesquelles on devrait déployer la même énergie » déplore Soukaïna. La jeune femme porte le foulard depuis dix ans. Un choix qui découle d’un cheminement personnel et spirituel. Comme d’autres personnes interviewées à ce propos, les premières concernées se plaignent du caractère récurrent du débat. « Mis à part d’attiser la haine, je ne comprends pas l’utilité de ces polémiques » regrette Linda. Interrogée sur la question, Nora Hamadi, journaliste et présentatrice de l’émission Vox pop, diffusée sur Arte, estime qu’il existe une obsession franco-française autour du voile. « À l’étranger, le traitement médiatique est différent. Le foulard ne pose pas de problème » confie-t-elle.
Une vieille histoire…
Les critiques ne datent pas d’aujourd’hui. La première polémique concernant le foulard islamique a éclaté en 1989 à Creil. Trois collégiennes avaient refusé d’enlever leur couvre-chef à la demande du directeur de l’établissement. Il n’en fallait pas plus pour que l’affaire devienne un débat sociétal. Après une exclusion temporaire, un compromis avait été trouvé entre le principal et les parents. Le voile fut autorisé, seulement, à la sortie des classes. Entre 1989 et 1994, trois circulaires furent publiées sur la même thématique. Mais, c’est uniquement en 2004, sous la présidence de Jacques Chirac, qu’une loi sera émise. Afin de garantir le respect de la laïcité au sein des écoles, collèges et lycées publics, tout signe religieux ostensible est désormais, interdit. Quelques années plus tard, en 2010, le gouvernement de Nicolas Sarkozy bannira la Burka (dissimulation du visage) pour des raisons de sécurité.
« Il est devenu le symbole hystérique d’une question identitaire »
Une vraie-fausse polémique ?
Interdiction du voile à l’université, sur les plages, voire dans certaines salles de sport… Les propositions défilent et sont nombreuses. Certains représentants politiques et journalistes souhaitent limiter la visibilité de ces musulmanes dans l’espace public. La spécialiste des questions européennes, Nora Hamadi, estime que le voile est la partie émergée de l’iceberg. « Les regards sont portés sur le tissu car c’est une sorte de drapeau qu’on érige. Il est devenu le symbole hystérique d’une question identitaire, comment définit-on le français ? Pour une partie de la société, il est inconcevable de penser qu’une femme puisse faire le choix de porter librement le voile parce qu’ils sont incapables de comprendre la diversité ». La journaliste souligne un dysfonctionnement de la République qui n’accepte que l’assimilation, autrement dit une intégration qui passe par une dissolution totale de l’identité étrangère de l’individu. Une opinion partagée par Yasmina Touaibia, politiste : « Ce signe religieux prouve à la France qu’elle a échoué en matière d’inclusion. Le modèle social français est remis en question à travers cette problématique. »
« La République en crise de schizophrénie »
En moins d’une semaine, selon nos confrères de Libération, plus de 80 débats ont été animés sur les chaînes d’informations en continu avec près de 280 invités dont aucune femme voilée. Un seul discours est prêché, celui qui affirme que le foulard est une revendication politique. Les raccourcis fusent : l’islam et l’islamisme ne feraient qu’un. Le voile est comparé à un uniforme nazi par un journaliste de la chaîne LCI.
Les deux intervenantes alertent sur les dérives de ces paroles extrémistes tenues par certains représentants politiques et journalistes. Nora Hamadi ne mâche pas ses mots : « Je suis effarée du niveau d’incompétence de ceux qui sont censés porter la parole publique. Des amalgames sont dictés par des hauts responsables politiques. On se retrouve à penser qu’une simple pratique religieuse peut être un signe de radicalisation. La parole s’est libérée depuis les attaques du 11 septembre 2001. On a pu constater une glissade du racisme anti-maghrébin qui s’est transformé en racisme anti-musulman. » Yasmina Touaibia, quant à elle, remarque une cascade de contradictions : « Le gouvernement souhaite empêcher le communautarisme mais il l’encourage en tenant un discours stigmatisant. La République est en crise de schizophrénie ».
Panser le français musulman
La récurrence de ces polémiques et la libéralisation d’une parole provocatrice qui, jusque-là était retenue, encourage l’islamophobie et la discrimination envers les musulmanes. L’appel à la vigilance du président Emmanuel Macron et l’énumération des « signaux faibles de radicalisation » par Christophe Castaner, ont exacerbé les tensions. Le gouvernement a légitimé une méfiance vis à vis du simple musulman pratiquant.
Face à ces propos, une tribune intitulée « jusqu’où laisserons-nous passer la haine des musulmans » a été signée et relayée par plus de 90 personnalités dont Nora Hamadi. Fortement engagée dans la question des Droits de l’Homme, elle répète qu’il est un devoir de réagir en portant un contre discours : « Faisons en sorte que l’histoire ne se répète pas ».
M.M