Idriss Aberkane «  la connaissance vaut plus cher que le pétrole »

«Comme la connerie, notre connaissance est infinie» Idriss Aberkane donne le ton.  Entrepreneur, expert des neurosciences appliquées, trois doctorats, a tout juste trente ans, il publie son deuxième livre «  L’âge de la connaissance ». Un ouvrage passionnant sur l’économie de la connaissance, notre nouveau pétrole.


Échos d’Orient : Votre livre “Libérez le cerveau” est un best-seller vendu à plus de 100 000 exemplaires. Est ce que vous vous attendiez à un tel succès ?

Idriss : Non, pas du tout. D’ailleurs, il a dépassé les 300 000 dans le monde, traduit en neuf langues, dont le Russe, le Chinois, le Japonais et Le Coréen. Ce qui est rare pour un premier livre. Il y a une petite anecdote marrante ; j’ai mis une bande dessinée au milieu du livre pour le rendre plus accessible, notamment, aux enfants, mon éditeur me refusait cette idée et m’avait dit :” ça va retarder les délais d’impression, ne t’en fais pas, on ne va jamais les réimprimer de tout façon”. Ce n’était pas du tout quelque chose, auquel il était préparé. C’était vraiment une surprise.

Au-delà de ce succès, on a vu apparaitre également une polémique autour de votre CV. Peut-on comprendre un tel acharnement ?

J’avais publié dès 2016 la liste de touts mes diplômes et à aucun moment je n’ai changé de virgule de mon CV. Simplement, cette polémique m’a rendu riche. Puisque c’est grâce à elle que le livre s’est vendu à ce point. Avoir trois doctorats, et bien c’est forcément subversif, puisque, soit vous avez travaillé plus que les autres ; ce qui est clairement mon cas, soit ce sont des faux. Mais les autres ne peuvent pas admettre que vous ayez travaillé plus qu’eux. Enfin, c’est d’un point de vue culturel. Ce n’est pas possible mais la réalité est qu’il est tout à fait possible de faire trois doctorats en même temps si on est motivé et qu’on travaille énormément. C’était mon cas.

Pensez-vous que cela est propre à la mentalité en France ?

Oui totalement. La France a du mal à reconnaître les talents d’autant plus les talents descendant d’immigrés. Je n’ai pas le moindre problème à dire cela de façon frontale. La France a un fond d’extrême droite, que l’on voit très bien encore aujourd’hui. Et ce fond extrême droite, continue à s’exprimer. D’ailleurs un des premiers articles diffamatoires à mon égard a été signé par un collaborateur de l’extrême droite. C’est quelque chose pour lequel il faut être préparé. Mais qui en aucun cas ne m’accable-moi mais plutôt la France.

Votre nouveau livre s’intitule «  l’âge de la connaissance », d’où vous aie venu l’idée du titre ?

Mon premier livre, luttait contre le premier mensonge de la révolution industrielle. À savoir, produire et s’épanouir, il faut choisir. Le deuxième mensonge c’est : nature et emploi, il faut choisir soit on ne peut avoir les deux. Dans la nature il n’y a pas d’emplois et là où il y a de l’emploi il n’y a pas de nature. Et cette opposition permanente entre les deux est à l’origine de tous les problèmes écologiques actuels. En situation de crise elle est insoluble. Aujourd’hui malgré tout, la première préoccupation des électeurs dans les pays riches, ça reste l’emploi et après la sécurité c’est la nature. Et le pays qui est forcé à régler ce problème est la Chine.

La nature est le plus gros gisement de savoir sur terre 

Vous affirmez que la connaissance vaut beaucoup plus cher que le pétrole a t’on réellement conscience aujourd’hui ?

Les faits sont là. Aujourd’hui, les sociétés les plus riches sont les sociétés qui vendent des savoirs, que ce soit Amazone ou Apple par exemple. La Russie a la plus grosse réserve d’hydrocarbure au monde, après le Venezuela et pourtant la Corée du Sud exporte plus qu’elle. Et le pire, c’est que la Corée du Sud exporte du pétrole. Mais ce n’est pas le leur, c’est du pétrole raffiné. Elle gagne plus d’argent sur le pétrole des autres, que si elle avait ses propres réserves. Parce qu’elle a des réserves de connaissance. La Corée du Sud n’a aucune matière première contrairement au Nord qui a toutes les matières premières qui dorment dans le sous-sol dans la péninsule Coréenne. C’est de l’ordre de trois mille milliards de dollars de matières premières sur plusieurs décennies. Et malgré ça, la Corée du Nord est l’un des pays les plus pauvres sur terre alors que la Corée du Sud est l’un des pays les plus riches. La connaissance, bien entendu, est bien plus précieuse que les matières premières.

Sur quoi repose concrètement la puissance de l’économie de la connaissance selon vous ?

C’est éternel et la plus ancienne au monde. Les êtres humains échangeaient des savoirs avant d’échanger quoi que ce soit d’autres. Le modèle du silex est un très bel exemple, pour un caillou qui n’a pas de valeur en lui appliquant de la connaissance, il prend une très grande valeur d’usage. Et ça c’est valable encore aujourd’hui. On prend quelque chose qui sort de la terre, du pétrole et en lui appliquant de la connaissance il prend de la valeur. Il est impossible d’avoir une transaction économique sans connaissance. Aujourd’hui ce sont les vendeurs de savoirs qui sont les plus riches.

Vous citez souvent l’exemple de la Corée, premier pays a avoir instauré un ministre de l’économie de la connaissance, en quoi es ce un modèle ?

À l’époque de son indépendance, tous les prospectivistes disaient que ce pays va être la Somalie de l’Asie. Séoul a été prise trois fois pendant la guerre Coréenne. Jamais on n’aurait imaginé que la Corée renaîtrait comme ça de ses cendres. D’autant plus qu’elle n’avait aucune matière première. Ce que les Coréens on utilisé ce sont leurs connaissances. Pour créer des objets a très fortes valeurs ajoutées dans tous les domaines que ce soit dans les moteurs de bateau, la culture d’algue en mer, l’Informatique, les Smartphones ect. en injectant de la connaissance dans les choses qui étaient à leurs dispositions ils sont devenus un des pays les plus riches au monde.

Et pourquoi selon vous il y a urgence mondiale à mieux faire circuler le savoir ?

Le manque de savoir crée les problèmes écologiques. À l’image de cette autoroute en Chine qui menaçait l’écosystème d’une certaine araignée. Et bien quand on a su que son venin, valait mille dollars le milligramme, dont un milliard le kilo, on a évidemment détourné cette autoroute. Ça c’est un cas où la connaissance était là, au bon endroit, au bon moment. C’est la connaissance qui fait qu’on va protéger la nature. Si on sait que telle ou telle espèce représente tel ou tel savoir pour nous, que ce soit pour lutter contre le cancer ou le venin du mamba noir par exemple qui est plus puissant que la morphine sans les effets secondaires une fois qu’il est bien dilué. On ne détruirait plus la nature et on arrêterait de l’opposer à la croissance économique.

L’économie de la connaissance peut-elle concerner tous les pays notamment l’Afrique ?

Cela concerne déjà l’Afrique. L’Algérie évidemment est un des cas les plus durs. C’est le plus grand pays d’Afrique aujourd’hui depuis la partition du Soudan et elle a exactement le même problème que le Brésil ou l’Australie. Or elle n’a pas les mêmes opportunités puisque le Brésil est ultra polytechnique avec une énorme diversité culturelle. Elle est sur un fil. Si elle continue à investir uniquement dans les matières premières elle va droit vers la partition. Et il y a encore autant de prédations en Afrique qu’il y en avait du temps colonial. Et si l’Algérie veut éviter qu’un scénario à la soudanaise lui arrive, il est essentiel pour elle de devenir un pays intelligent, d’investir massivement dans ses cerveaux justement parce qu’elle a zéro dette et qu’elle a des hydrocarbures en veux-tu, en voilà. Le Brésil est un très bel exemple de ce qui se passe quand on n’investit pas dans l’économie de la connaissance et qu’on investit uniquement dans l’économie du pétrole.

On dis souvent que celui qui détient l’information détient le pouvoir. Et partant de cette hypothèse, n’y a-t-il pas un frein justement à toute transmission de la connaissance ?

Il y a des inégalités de connaissance au même titre qu’il y a des inégalités économiques. Et c’est un des ressorts de l’indépendance africaine aujourd’hui. Cela dit, j’ai vu qu’au Bénin ils commencent à faire par exemple des élevages de mouche, c’est brillant. Ils prennent des déchets ménagers puis ils cultivent des mouches dessus. C’est des déchets ménagers qui vont être transformés en protéines par les larves de mouche avec des rendements complètement dingues. Il y a des gens brillants à l’Unesco qui ont créé notamment le programme Unitwin dont j’ai été représentant. Ce programme a été créé pour réduire les inégalités Nord-Sud en matière de savoir. La pénétration du Smartphone en l’Afrique permet aussi d’égaliser cela.

En 2000, le Conseil des Ministres de l’Union Européenne proclame sa volonté de «  faire de l’Union Européenne, l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », quel est votre avis sur la question ?

Une Silicon Valley ça ne se décrète pas. Que des politiciens décrètent qu’ils vont faire la Silicon Valley en Europe ce n’est pas nouveau. Les rendez-vous ratés avec l’histoire des autoroutes de l’information et de la connaissance en Europe sont systématiques et viennent du fait que la technocratie est bien trop arrogante. Les start-ups américaines naissent de profils complètement improbables, que ce soit Steve Jobs, un hippie chevelu qui n’a aucune formation en informatique ou Bill Gates qui quitte Harvard sans sa licence ou les fondateurs d’Airbnb qui imprimaient des boites de céréales pour financer leur projet . Le fonctionnement d’une Silicon Valley est totalement opposé au fonctionnement d’une technocratie. Récemment avec la France ça a été la French Tech qui est déjà en train de retomber dans l’oubli.

L’une des idées principales de votre livre est de démontrer que nature et emploi sont des alliés comment réconcilier économie et écologie ?

Avec un argument très simple qui est de dire : la connaissance vaut plus cher que le pétrole et la nature est le plus gros gisement de savoir sur terre. Regardez les emplois que la Corée a créée. On le voit avec la robotique, avec l’intelligence artificielle mais aussi en architecture avec l’exemple de la Tour Eiffel inspirée de l’os humain. La nature possède le plus grand baril de connaissance et il faut la préserver.

Qu’avez-vous pensé de la démission de Nicolas hulot du gouvernement ?

Ça prouve à quel point c’est un homme de conviction et libre. J’ai une grande admiration pour Nicolas Hulot qui a été incroyablement attaqué dans tous les sens. Il est conscient qu’on peut lier écologie et économie, mais il a observé de front que dans toute la technostructure française, les gens n’étaient absolument pas conscients du fait qu’on pouvait avoir les deux et les mensonges de la révolution industrielle selon lesquels on ne peut pas avoir nature et emploi était encore profondément installé dans les officiels politiques.

Vous encouragez également les sociétés et les gouvernements a espionner la nature…

Oui effectivement aujourd’hui on paye des fortunes pour aller espionner autrui et on a cette banque de savoir qui est la nature, qui est ouverte, libre et qui coûte moins à espionner, qui est légale et morale en plus de ça, et on ne le fait pas.

Vous consacrez également un chapitre sur l’enfant comme source de changement, quel regard portez-vous sur la nouvelle génération ?

C’est quelque chose que j’ai appris de Gunter Pauli. Pendant très longtemps c’était une insulte de dire à quelqu’un « je pourrais vous donner des leçons ». Donc l’idée même de remettre à jour son logiciel intellectuel est considérée comme une faiblesse par beaucoup de gens et en particulier par les gens de pouvoir. Gunter Pauli s’est rendu compte que ça marchait passablement avec les chefs d’État, mais par contre un enfant a une plus grande flexibilité intellectuelle. Pour un enfant le monde est complètement malléable. Donc envisager un monde où il y aura zéro déchet, envisager un monde où la nature est reconnue comme une bibliothèque technologique, pour les enfants ça se fait en cinq ans alors que pour les adultes ça fait quarante ans qu’on essaye.

Que pensez-vous de l’engouement actuel pour les neurosciences présentées parfois comme la solution à l’échec scolaire ?

Je soutiens Jean-Michel Blanquer (Ministre de l’éducation Nationale et de la Jeunesse) c’est quelqu’un de très bon. Et l’éducation nationale française est encrassée par tout un tas de réflexions, d’idées. Le système éducatif français est coincé dans le POE à savoir soit produire ou s’épanouir et c’est pour ça qu’il y autant de dépressifs en France. C’est véritablement cette idée qu’on ne peut pas prendre du plaisir en apprenant. C’est ce qu’on voit dans les grandes écoles, ce sont des cathédrales de la souffrance. Dans l’éducation française, il y a cette idée profonde que l’éducation c’est forcément pénible. Et là on peut mettre toutes les neurosciences qu’on veut tant qu’on n’aura pas accepté que l’on peut apprendre en prenant du plaisir on n’ira nulle part. Aujourd’hui avec internet les gens arrivent à voir ce qui se passe dans d’autres pays et là ils voient qu’il y a d’autres systèmes éducatifs donc les parents d’élèves sont de plus en plus informés. Même en banlieue avec notamment les travaux de Céline Alvarez qui ont été écorchés vifs au passage alors que c’étaient des travaux brillantissimes. Ils ont démontré qu’on pouvait apprendre à lire, écrire, compter, même diviser à des enfants de maternelle. Elle a démontré que même finalement dans les banlieues, des parents qui n’ont pas fait d’études supérieures se renseignent sur d’autres façons d’élever et éduquer leurs enfants et sont capables d’avoir un esprit critique sur l’éducation qui leur est mise à disposition. Face à la situation internationale, l’éducation nationale sera obligée de se réformer.

Quel est selon vous la meilleure innovation de ces dernières années ?

Ce qui a changé le monde aujourd’hui est internet, pour le meilleur et pour le pire. On a bien entendu vu les contre effets d’internet en matière de fake news, mais dans l’ensemble internet a fait beaucoup plus de bien que de mal. La pénétration du Smartphone en Afrique encore une fois, hors des monopoles des télécoms, hors de la corruption quand quelqu’un installe des lignes téléphoniques fixes en Afrique même si évidemment les téléphones mobiles restent sous monopoles et sous corruption. Mais la capacité à implanter une ligne au fin fond de la savane aussi rapidement, c’est un des porteurs d’espoir pour l’Afrique.

Vous êtes également président de la fondation Bioniria, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

J’ai créé cette fondation pour une seule raison. Pour que les chefs d’État préfèrent trouver de la biodiversité que du pétrole. Quand les chefs d’État sont plus heureux quand on leur annonce la découverte d’une nouvelle grenouille ou d’un nouveau requin qu’un gisement pétrolier, la fondation aura fait son travail. Et le raisonnement derrière ça bien sûr c’est que cette nouvelle grenouille ou ce nouveau requin représente un baril de connaissance, en l’occurrence des millions de barils de connaissance et que cela vaut plus cher que le baril de pétrole.

Vous proposez également une formation en ligne sur la neuroergonomie peut-‘on envisager à l’avenir une école Idriss Aberkane ?

Il y a déjà Ken Robinson, Raymond Sayegh et bien entendu les travaux de Grunter Pauli qui ont des dimensions pédagogiques puissantes. Il y a eu le nom Montessori mais c’est parce qu’elle avait vraiment créé une méthode. On peut envisager un jour que je crée une méthode pédagogique collective avec les autres grands consorts de la  neuroergonomie contemporaine.

Comprenez-vous pourquoi vous dérangez tant ?

Si je ne dérange pas, je n’ai pas fait mon travail. C’est ce que disait Churchill, «  si vous avez des ennemis c’est bien, ça prouve que vous vous êtes battus pour quelque chose dans votre vie ». Je le dis tout le temps dans mes conférences, une révolution qui n’est pas insolente n’existe pas et il n’y a pas de contre-exemple dans l’histoire de l’humanité de révolution qui ne fut pas insolente. Ce qui fait que des gens essayent absolument de brûler ma persona, à savoir ma réputation, mon image, est le facteur clé de succès. C’est pour moi la chose qui démontre très clairement que je fais mon travail.

F.C

Idriss, si vous étiez
une citation 
«  Fais de ta pensée un empire »
Une invention
l’avion.
Un personnage de l’histoire 
Churchill ou Richard Francis Burton.
Une couleur 
Le Vert.
Un pays
Soit la Corée ou un pays qui n’existerait plus, Bagdad au 9e siècle.

 

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