Asmaa NIANG, l’âme d’une championne

Quadruple championne d’Afrique, classée au top 5 Mondial, Asmaa Niang devient la plus grande judokate de l’histoire du Maroc et c’est sous ses couleurs qu’elle prépare les Jeux olympiques 2020. Rencontre avec une femme d’exception. 

Échos d’Orient : Après avoir passé dix ans au service de la France en tant que pompier militaire, quelles ont été les raisons qui vous ont poussée à tout quitter pour réaliser une carrière dans le judo ? 

Asmaa : Depuis toute petite, je rêvais de faire les Jeux olympiques. Et ça a pris le dessus, c’est un rêve qui m’animait depuis mes six ans. 

Vous êtes française, de père sénégalais et de mère marocaine et vous avez choisi de porter haut les couleurs du Maroc. Pourquoi ce choix ? 

Je suis née au Maroc, et j’y ai grandi jusqu’à mes douze ans avant de venir en France. J’ai voulu représenter tout naturellement mon pays natal. 

Vous découvrez à vingt ans le judo, votre parcours démontre qu’il n’est jamais trop tard…

Quand je suis arrivée en France, je ne parlais pas français. L’avantage que j’avais c’est que j’étais une enfant sociable et pas du tout timide et comme j’étais douée dans le sport, on m’intégrait plus facilement. Le sport m’a vraiment aidée. Je n’ai pas pu suivre un cursus normal et du coup, ça a été un peu ma souffrance, et je voulais vraiment faire du sport, n’importe quel sport pour faire les Jeux olympiques. En grandissant, j’ai fait mon choix. 

Vous êtes 5ème au classement mondial des moins de 70kg, quadruple championne d’Afrique, comment vit-on ces victoires ? 

Je suis en tout, huit fois médaillée dans des grands prix prestigieux. C’est la première fois que je décroche une médaille dans un grand chelem à Ekaterinbourg en Russie, et c’est une première dans l’Histoire du judo marocain. C’est surtout une fierté pour moi que ce soit une femme qui tienne le meilleur palmarès du judo marocain de toute l’histoire et aussi la seule africaine à ce niveau dans le top 10 mondial. 

Vous êtes considérée aujourd’hui comme la plus grande judokate de l’Histoire du Maroc, comment vivez-vous cette distinction ?

C’est une fierté ! Et si je peux à travers mes actions aussi apporter ma pierre à l’édifice du sport féminin et inspirer aussi d’autres marocaines, ça fera aussi partie de mes victoires de pouvoir donner le relais juste en inspirant d’autres personnes.

Le sport est l’avenir d’un pays

Quelles sont les valeurs dans le judo qui vous animent le plus ?

Le judo, c’est toute l’histoire de ma vie. Toutes les valeurs que l’on retrouve dans le judo, j’en ai fait un transfert dans ma vie. Dans le judo, on tombe et on se relève. Le code moral du judo est très fort. C’est un sport qui m’a beaucoup assagie et fait mûrir. C’est un sport que j’ai appris sur le tard et surtout, le haut niveau dans le judo, est quelque chose d’assez complexe et ça m’a apporté que des choses positives comme la patience, la souplesse de la vie et l’équilibre.

Comment voyez-vous l’évolution du judo au Maroc ? 

On est en progression par rapport à d’autres pays africains. Sauf qu’on est en 2019 et il n’y a toujours pas de programmes scolaires sportifs. Les jeunes que je vois, s’ils se mettent à 100% au judo ne font pas d’études ou s’ils font des études, ne font plus de sport. On doit permettre dans les écoles au Maroc, d’intégrer un programme sport-études. On aurait beaucoup plus de sportifs et de résultats. Je pense vraiment que le sport est l’avenir d’un pays parce qu’on est des ambassadeurs, on fédère toutes les nations. On est des soldats pacifistes. On devrait mettre l’accent sur l’importance de l’éducation et surtout sur le sport-études.

Vous êtes également à la tête de Moman (mind over matter), qui signifie « l’esprit domine la matière », pouvez-vous nous en dire quelques mots ? 

Pendant mon olympiade de Rio, j’ai fait beaucoup de préparation mentale. Dans la performance, il y a la techniquetactique et la technique qu ‘on oublie souvent ; c’est celle de la préparation mentale. En France comme au Maroc, on a un peu de mal avec le côté psychologique, à parler du mental, de la faiblesse de dire qu’on ne va pas bien. C’est un sujet encore tabou. Du coup, je me suis intéressée aux préparateurs mentaux qui sont arrivés en France et je me suis formée. Ça m’a permis de voir plus clair dans le sport et de m’occuper de certains athlètes en prépa mentale et prépa physique. 

Vous accompagnez également des athlètes en France en vue des Jeux olympiques de Paris 2024. Pouvez-vous en dire quelques mots ?

Je m’occupe de la préparation physique et mentale d’Orso Dermee, un athlète âgé de seize ans. On a mis des choses en place que je ne trouve pas encore dans les pays africains à savoir, être capable de miser sur des jeunes. Le message que je souhaite faire passer est celui de donner la chance à ces jeunes très tôt afin qu’ils puissent se sentir soutenus et prêts psychologiquement et pas en panique car il n’y aura pas de résultats.

Y a-t-il une évolution des mentalités en Afrique et au Maroc dans ce domaine ? 

C’est à nous les athlètes de faire changer les choses, c’est nous les acteurs. On a des besoins et on doit les exprimer. Pour moi c’est essentiel que les athlètes puissent se former et faire des études. Un athlète a besoin d’être cultivé et d’avoir certains acquis, c’est essentiel. 

Quel est votre regard justement sur le sport féminin au Maroc ?

Je suis assez positive là-dessus parce qu’il y a de fortes athlètes au Maroc. Il y a un potentiel qui est juste extraordinaire dans le judo. Il y a beaucoup de judokates. C’est un art martial qui est très noble et il n’y a pas de sexisme dans notre sport : on devient tous pareils. Les garçons s’entraînent avec les filles et il n’y a pas de problèmes. Nous devons sans cesse mettre ces femmes.

Vous défendez également l’entrepreneuriat féminin en particulier africain. Quel est votre regard sur la place de la femme en Afrique ?

Il y a beaucoup d’actions qui se mettent en place par des jeunes et des femmes. Le Maroc est l’un des rares pays africains à mettre en avant la femme. Il y a une jeunesse et des femmes qui sont là, qui ont envie d’entreprendre. La femme a une force et un talent et si elles sont mises en avant, l’Afrique ira de mieux en mieux. 

Il y a quelques mois, il y a eu la mise en vente d’un hijab pour les sportives musulmanes qui a provoqué de nombreuses réactions en France. Comprenez-vous une telle polémique ?

En France il y a beaucoup de polémiques. Le malheur qu’on a de nos jours ce sont les réseaux sociaux et les médias qui ont tendance à aggraver les choses. C’est beaucoup de bruits. Après, il faut séparer les choses des bruits qu’elles font. Je suis coach sportif et je vois des femmes voilées qui font des cours et ça se passe très bien. Il ne faut pas que ce genre de polémiques nous impacte et nous divise. Ça fait très longtemps que je vis en France et j’ai connu le vivre ensemble, je n’ai jamais subi de racisme. Je n’ai même pas fait attention à ce débat parce pour moi, il n’a pas lieu d’être. Et on ne peut pas interdire à quelqu’un de faire du sport. Je suis pour le droit de la liberté à 100%

Jigoro Kano, fondateur du judo a dit  : « On ne juge pas un homme sur le nombre de fois qu’il tombe mais sur le nombre de fois qu’il se relève ». Que vous inspire cette citation ?

C’est l’histoire de ma vie. Et c’est pour ça que cette citation me touche beaucoup. On devient judoka à vie. J’ai eu des échecs qui ont été très violents, que ce soit sur le plan physique ou moral. J’ai eu beaucoup de défaites, deux fois au pied du podium dans un championnat du monde. J’ai perdu une médaille, mais en échange j’ai tellement appris. J’espère que je ramènerai une médaille au championnat du monde et aux Jeux olympiques. J’ai acquis une certaine maturité. Avant mon discours aurait été différent mais aujourd’hui même, s’il n’y a pas eu la médaille, j’ai appris certaines choses et c’est ce qui me permet aujourd’hui d’avoir d’autres projets et d’être au mieux pour les gens que j’accompagne.

Sur votre page instagram momanperformance il y a une citation « Deviens qui tu veux être ». Est-ce aussi votre leitmotiv ?

J’ai toujours voulu faire des jeux. Deviens qui tu veux être et toujours suivre son cœur. On a tous un talent j’en suis persuadée. Il faut oser, avoir confiance en soi et toujours suivre son cœur. On s’est beaucoup moqué de moi quand j’ai commencé le judo. Personne n’y a cru. Mais j’étais audacieuse et l’audace c’est aussi d’être sûre et d’avoir confiance. J’ai aussi laissé mon côté enfant s’exprimer et c’est ce qui m’a amenée jusqu’ici et j’y ai cru. 

Vous êtes en préparation des JO de Tokyo 2020, dans quel état d’esprit êtes-vous ? 

J’ai appris tellement de choses des erreurs de l’olympiade de Rio. C’est un très mauvais souvenir pour moi parce que j’ai cru que j’allais trouver quelque chose de fou et finalement je suis arrivée et je n’ai rien trouvé de spécial. Aujourd’hui, je pars avec beaucoup plus de maturité et avec un rêve de grand. Je profite et apprécie chaque compétition et entraînement et on verra où ça me mène mais je ne suis plus obsédée par l’idée des Jeux olympiques, je profite plutôt du chemin à parcourir parce que c’est lui qui au final est extraordinaire.

Quels sont vos projets futurs ? Comment préparez-vous l’après ?

L’après est déjà là depuis longtemps parce que je suis quelqu’un qui a plusieurs projets en même temps. Je suis toujours coach. C’est la chose où je me sens le mieux, à savoir pouvoir donner et partager avec les athlètes et j’espère que mon entreprise moman performance prendra plus d’ampleur. 

Que souhaitez-vous que l’on retienne de vous ? 

Je dirai une citation qui m’a emmenée à être au top 5 mondial aujourd’hui : «  Il n’est pas nécessaire de réussir pour entreprendre ».

Portrait chinois : 

Asmaa, si vous étiez 

un animal ?

Un chat

Une couleur 

Le violet

Un pays

Le Maroc

Une devise ?

« Patience et longueur de temps ne font plus que force et courage »

Un souvenir ?

Quand l’hymne national du Maroc a retenti pour la première fois au grand prix de Chelem en 2014.

 

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