Manger est souvent un plaisir, parfois un délice, mais une nécessité vitale sans aucun doute. Si le jeûne religieux – Ramadan pour les musulmans, Carême pour les chrétiens ou Yom Kippour pour les juifs – est bien connu et structuré, différentes tendances de privation de nourriture, à but thérapeutique ou écologique, remportent un succès grandissant. Mais les médecins ne s’accordent pas tous sur les bienfaits de la pratique. Parce que jeûner est un art à consommer avec modération.
Le mois du Ramadan approche pour la communauté musulmane qui, chaque année, se frotte à l’exercice du jeûne sacré, l’un des cinq piliers de l’Islam. Pour Azzedine, « il y a une dimension spirituelle dans le jeûne et une solidarité avec les plus démunis. Cela permet de tenir mentalement surtout quand le Ramadan tombe en plein été. »Faire communion pour se rapprocher, en intention, des plus nécessiteux. Cette dimension est également présente dans le jeûne chrétien qui y ajoute une touche doloriste : la faim permet de ressentir les limites de la condition humaine, dépendante à la nourriture.
La pratique du jeûne n’est pourtant pas la prérogative des religions. Depuis l’Antiquité, ses bienfaits sont loués par les pères de la médecine. « Quand le corps est chargé d’humeurs impures, faites-lui supporter la faim : elle dessèche et purifie.» disait le célèbre Hippocrate.
Une sagesse ancienne occultée par les diktats de la médecine moderne et soumise à l’industrie pharmaceutique. C’est, du moins, le postulat des défenseurs du jeûne curatif.
Thérapie. Face à la tendance actuelle du « tout médicament » et de ses dérivés – scandale du Médiator pour ne citer que lui -, certains se tournent vers les médecines parallèles qui préconisent le jeûne comme thérapie naturelle des rhumatismes à l’hypertension en passant par les allergies ou les maladies cardio-vasculaires. Les espoirs vont même au-delà. Selon une étude récente de l’Université de Californie du Sud (USC), 72 heures de jeûne permettraient de régénérer le système immunitaire, rapporte le National Post. Les chercheurs américains ont observé qu’ « en période de jeûne, le corps essaye d’économiser l’énergie dépensée et pour cela recycle un grand nombre de cellules du système immunitaire qui ne sont pas indispensables, notamment celles qui sont abîmées ». Le jeûne diminuerait l’enzyme PKA lié au vieillissement qui augmente le risque de cancer et de croissance tumorale.
Remède contre le cancer? L’hypothèse est battue en brèche par l’Institut National du Cancer pour qui toute médecine parallèle NE GUÉRIT PAS le cancer. Les études sur les effets thérapeutiques du jeûne sont d’ailleurs quasi inexistantes en France. Si l’Hôpital Avicenne de Bobigny a annoncé sa volonté de se pencher sur le sujet en 2013, le projet semble remis aux calendes grecques par manque de financement.
Un jeûne business? En attendant, les structures d’accompagnement se multiplient, à l’image de la Maison du jeûne dans les Alpilles qui proposent plusieurs cures, allant du jeûne complet à la monodiète -prise d’un seul aliment- sur des périodes réduites. Jean-Pascal David, son fondateur, préfère parler de « jeûne détox » plus que de jeûne thérapeutique. « Nous sommes dans une démarche de bien-être. Nous n’accueillons pas de personnes sujettes à des pathologies nécessitant un suivi médical. Le jeûne à visée médicale ne se trouve pas en France, mais en Allemagne ou en Russie par exemple. »
Ainsi, la célèbre clinique allemande Buchinger a fait du jeûne médicalisé sa spécialité depuis 1953. Et l’entreprise est lucrative. Les prestations vont de 849 euros les trois jours à 13 370 euros le mois de cure.
Militantisme. Le jeûne prend récemment une tournure militante. Le 4 juin 2014, un mouvement Jeûne pour le climat est lancé en France, appuyé par la Fédération protestante de France et des associations catholiques. L’initiative séduit rapidement Nicolas Hulot et l’agroécologiste Pierre Rabhi. Le principe est simple : jeûner le 1er jour de chaque mois jusqu’en décembre 2015, date de la Conférence internationale pour le Climat à Paris. L’enjeu est d’envoyer un message fort de soutien aux victimes actuelles et à venir des changements climatiques. Selon le Bureau de Coordination des Affaires humanitaires de l’ONU, « en moyenne 211 millions de personnes sont directement touchées chaque année par les catastrophes naturelles, ce qui représente près de cinq fois le nombre des victimes de conflits » . »
Autre initiative. En mars dernier, face à l’actualité tragique de janvier, un appel au Jeûne interreligieux contre la violence a été lancé par le Père Patrice Gourrier, Mohammed Charani et le Rabbin Avraham Weill. « Les Pères du désert nous enseignent que l’un des moyens de mener le combat intérieur contre le diviseur consiste à jeûner.»rapporte le prêtre dans le journal La vie.
Le jeûne s’impose discrètement comme un outil d’interpellation citoyenne – dans la lignée des luttes non violentes d’un Gandhi – même s’il porte toujours, pour le moment, une dimension religieuse puisque souvent initié par des organisations de croyants.
«Le corps ne sait rester neutre face à la nourriture, il est prêt à toutes les folies.» écrivait Noëlle Châtelet. Si certains sont prêts à faire la folie de ne plus manger [temporairement], un suivi médical est fortement recommandé. On n’est jamais assez prudent de rappeler que le corps humain ne peut survivre 30 jours sans nourriture et 3 jours sans eau…
Le Ramadan approche !
Dans son livre La chrononutrition spécial Ramadan, le nutritionniste Alain Delabosse distille ses conseils. Extraits.
1/ Pour le F’tour, mangez sucré pour restaurer rapidement l’organisme. La rupture du jeûne doit être légère.
2/ Rien ne sert de trop manger lors du deuxième repas du jeûne. Selon le Dr Delabosse, il doit être pris deux à trois heures après le F’tour. « Débutez par un bouillon ou un velouté de légumes, suivi d’un plat de poisson, de fruits de mer ou bien d’une viande blanche accompagnée d’un légume vert ».
3/ Pour le S’bour, privilégiez évidemment les féculents. Le blé, par exemple, nourrit l’organisme jusqu’à huit heures contrairement à d’autres aliments qui ont une capacité de quatre heures.
Parole aux jeûneurs :
« Je jeûne pendant le Ramadan. Personnellement je n’ai jamais ressenti d’effets négatifs sur ma santé pendant cette période. Je dirais plutôt que le problème de nos sociétés, c’est que nous mangeons trop en général. C’est ça le vrai danger. Et donc au fond, le jeûne permet de se ressourcer. C’est une pause pour le corps ». Azzedine
« Je n’aime pas penser qu’il y a une mode du jeûne actuellement. C’est une pratique connue depuis toujours, mais oubliée par nos sociétés, voire ridiculisée. Or, c’est quelque chose d’intrinsèque à l’organisme. Quand on a jeuné une fois, on devient jeûneur à vie ! Le jeûne permet d’avoir un regain de vitalité avec l’impression de nettoyer son corps, c’est une détoxication ».
M. David – fondateur de la Maison du Jeûne dans les Alpilles
« En général, le taux de sérotonine augmente quand on jeûne et on se sent bien. La sérotonine donne le calme et ce sentiment du bonheur, la sensation d’être à sa place ». À propos du jeûne thérapeutique – Thierry de Lestrade – Auteur du documentaire et livre – Le jeûne une nouvelle thérapie ? » – srce : Femme actuelle
E.O