À tout juste quarante-trois ans, Issam Rhachi cumule les récompenses et se classe parmi les dix meilleurs chefs du Maroc. Valeur montante de la gastronomie marocaine, il est à la tête du restaurant à succès Le Douar à Marrakech. Il y raconte « la cuisine de nos enfances », celle du souvenir, des grands-mères, des campagnes. Véritable artiste culinaire qui sait marier tradition et modernité, sa cuisine, à la fois authentique et inventive, est un voyage sensoriel qui ne laisse personne indifférent. Nous l’avons rencontré à Marseille dans le cadre des Déjeuners de La Flamme. Issam nous partage sa vision, son amour inconditionnel pour la gastronomie marocaine et sa volonté d’installer celle-ci sur les plus hautes marches de la gastronomie mondiale.
Echos D’Orient : Quelle a été ton inspiration pour le menu des déjeuners de La Flamme ?
Issam : Nous avons beaucoup échangé avec ma binôme Sarah Chougnet-Strudel sur le fil conducteur des plats qui puissent mettre à la fois en valeur la cuisine méditerranéenne, mais aussi la gastronomie marocaine. À travers notre menu, nous avons voulu raconter l’histoire commune de nos deux cuisines. Nous avons essayé de trouver un équilibre, en jouant sur les textures, le goût, tout en restant fidèles à la thématique des Jeux olympiques en proposant un menu équilibré et sportif aux saveurs méditerranéennes. Emmanuel Perrodin, en créant notre binôme, a bien compris la personnalité et la vision culinaire de chacun. Ce menu est le reflet de nos deux personnalités.
Quels éléments de la gastronomie marocaine as-tu souhaité mettre en avant autour de ce déjeuner ?
C’est vraiment ma vision et mon envie de développer la gastronomie marocaine d’une manière différente. Pour moi, la gastronomie marocaine, ce ne sont pas que des plats, c’est aussi le chef qui est derrière ces plats, ce sont des techniques de cuisson, le voyage, le fournisseur, c’est beaucoup de choses. Nous avons une cuisine exceptionnelle, mais elle n’est pas assez reconnue. Il y a toute une génération de talents de chefs marocains qui n’est pas mise en avant. Le Maroc se développe d’une manière très intéressante dans ce domaine et il faudrait une reconnaissance de ce travail. Il faut vraiment penser à faire des chefs entrepreneurs, des chefs propriétaires de leurs propres restaurants, avec une identité propre à chacun. Le rôle d’un chef au Maroc doit être reconnu à sa juste valeur. Aujourd’hui, je me concentre sur le développement de la gastronomie marocaine et comment la mettre en avant. Elle fait partie intégrante du patrimoine marocain.
Qu’as-tu appris de cette expérience inter-culturelle ?
La cuisine, c’est de l’émotion. Les femmes dégagent plus d’émotion que les hommes. J’adore cuisiner avec les femmes. Avec Sarah, ce fut une belle collaboration, elle a un talent exceptionnel, elle est jeune, discrète et surtout, elle a une vraie vision culinaire. Après la fin du service, j’ai fait la plonge avec le personnel et Sarah. Ça fait longtemps que je n’ai pas fait la plonge ! Et j’ai trouvé l’échange et le moment géniaux. Parfois, tu as un plongeur qui va te donner une idée géniale sur un plat. Il faut toujours être à l’écoute, l’échange est toujours intéressant, peu importe le milieu. Ce qui me permet à moi aussi de transmettre à mon équipe ce que j’ai appris. Ça m’a sorti de ma zone de confort.
En quoi ta collaboration avec les chefs Marseillais a-t-elle influencé ton approche de la cuisine méditerranéenne ?
Je viens à Marseille depuis 2017, notamment au salon Food in Sud où j’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup de chefs marseillais comme Lionel Lévy, Alexandre Mazzia, Gérald Passedat, et bien d’autres. Nous avons beaucoup échangé sur des projets communs avec Lionel Lévy et nous avons élaboré ensemble un dîner à quatre mains à Marrakech. Et dernièrement, avec le chef Eppei, nous avons réalisé un dîner franco-japonais. C’était génial ! Ce sont deux cultures opposées, deux gastronomies opposées, mais en mettant nos connaissances techniques en commun et notre amitié, nous avons pu élaborer un super menu !
« Je garde la tradition, mais je respecte les techniques et la qualité organoleptique des produits. »
Est-ce que tu intègres les techniques traditionnelles marocaines dans tes créations culinaires modernes ?
J’ai l’avantage d’avoir grandi au Maroc. C’est important d’avoir un héritage, parce que la cuisine marocaine, c’est spécial. C’est la seule cuisine au monde qui est très spéciale. Mais quand tu apportes des techniques culinaires, de la réflexion, des recherches, en créant un équilibre entre tradition, originalité et raffinement, c’est pour moi la clé du succès. Je travaille actuellement sur un répertoire de la gastronomie marocaine et ses techniques. Moins de gras, plus de fraîcheur, plus de respect du temps de cuisson, c’est mon approche de la cuisine marocaine. Par exemple, si je cuisine un couscous, je vais faire appel à des coopératives locales pour avoir un couscous bio. Je vais le travailler à la main, avec des légumes bien cuits, une viande fondante, un bouillon savoureux. Je ne revisite rien. Je garde le couscous comme il est tout en recherchant l’équilibre. Grâce à ma formation sur la gastronomie française, je peux faire ça.
Quel rôle joue la gastronomie dans la préservation de l’identité marocaine à l’ère de la mondialisation ?
La gastronomie joue un rôle très important. Il y a des personnes qui connaissent le Maroc à travers sa cuisine. La gastronomie marocaine est un mélange de différentes cultures : berbère, juive, andalouse, arabe. Pour la préserver, il faut développer des centres de formation et aider la nouvelle génération de chefs à se former. Au Maroc, les gens ne font pas la différence entre un YouTubeur qui cuisine et un chef professionnel. La gastronomie marocaine est une valeur ajoutée pour le développement du pays et les chefs doivent être reconnus et se soutenir mutuellement.
Quels sont les défis auxquels la cuisine marocaine est confrontée pour rester au-devant de la scène internationale ?
C’est dans la valorisation du « chef marocain ». C’est essentiel. Il faut l’aider à entreprendre et à se former. Il faut miser sur des centres de formation et des académies. Au Maroc, les chefs doivent pouvoir être eux-mêmes propriétaires de leurs établissements. On a une belle génération de chefs marocains qui doivent être mis en valeur, car la nouvelle génération a besoin d’être motivée, d’avoir de vrais modèles et non « des chefs stars ». Il faut savoir mettre de côté son EGO et être plus solidaire.
Que représente pour toi la cuisine ?
J’ai baigné dans une famille qui cuisine entièrement marocain que ce soit, ma mère, ma grand-mère, ma tante… J’ai grandi dans cette ambiance de partage auprès d’elles. Très jeune, quand j’avais des soucis, je me retrouvais en cuisine. C’était mon échappatoire, un lieu réconfortant qui me permettait d’oublier mes problèmes. Je suis de nature très timide, mais en cuisine, je deviens une autre personne, je me sent totalement épanoui. J’ai un amour inconditionnel pour ce métier.
Le portrait chinois :
Issam, si tu étais :
Une couleur : Le noir.
Un plat : La tangia.
Un souvenir d’enfance : Moi, enfant, me promenant dans les ruelles de Marrakech.
Un trait de personnalité : La niya. Comment pourrais-je le traduire en français ? J’accorde facilement ma confiance aux gens.
Une épice : Le piment et le sel !