Rabat. Vendredi 9 janvier. 18h. De petits groupes silencieux se rejoignent devant l’antenne marocaine de l’Agence France-Presse (AFP), rue al-Kahira (le Caire). Rbatis, Casaouis, expatriés, un millier de personnes ont répondu à l’appel d’un sit-in de deuil et de solidarité avec Charlie Hebdo lancé par le journaliste marocain Rachid Elbelghiti. « Parce que nous croyons fortement à la liberté d’expression. Parce que nos principes deviennent plus forts face aux attaques racistes, homophobes et basses de certaines âmes fragiles. », peut-on lire sur la page Facebook de l’événement.
L’hommage est sobre. Pas de banderoles, à la demande des organisateurs. Pour éviter la récupération politique ? Pour couper court aux turbulences idéologiques ? « Certains de mes amis ne voulaient simplement pas venir et ont appelé à ne pas rejoindre le mouvement », note une jeune rabatie, Amal. Ceux-là n’ont pas oublié la ligne éditoriale du canard.
Quelques affichettes « je suis Charlie » sont brandies ici et là. Mais ce qui marque le flâneur d’un soir, ce sont sans doute ces myriades de bougies apportées par les participants. Durant une heure et demie, les uns et les autres discuteront. Un enfant demande à son père : « Pourquoi ils sont morts, les messieurs ? » ; silence perplexe, rire gêné devant les passants qui se sont arrêtés, mesurant l’ampleur d’une telle requête. Mais ce soir-là, à Rabat, le temps est au recueillement. Les mots viendront ensuite.
Marche républicaine à Paris : Ira ou ira pas ?
Si un millier de Rbatis ont manifesté leur soutien à Charlie Hebdo, vendredi 9 janvier lors d’un sit-in d’hommage, ce sont les hésitations et finalement une marche arrière qui auront caractérisé la diplomatie marocaine dimanche 11 janvier, jour de la marche républicaine qui a rassemblé 3 millions de personnes en France et une 50ène de chefs d’État et délégations étrangères à Paris. «La délégation marocaine a présenté dimanche à l’Élysée les sincères condoléances du Royaume du Maroc» à la France, mais «n’a pas pris part à la marche organisée à Paris en raison de la présence de caricatures blasphématoires du prophète» selon un communiqué officiel de l’Ambassade du royaume du Maroc en France cité par l’AFP.
« Le ministre des affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, a été à l’Élysée avec l’intention de prendre part à la marche», avant de se rétracter, a expliqué à l’AFP une source diplomatique marocaine. «Ce genre de caricatures insultantes pour le prophète ne contribue pas à instaurer un climat de confiance, sain», a ajouté cette source ».
Par l’absence de sa délégation, le gouvernement marocain, mené par le Parti de la Justice et du Développement [parti de référentiel islamiste] affirme ainsi sa position : Il n’est pas Charlie. Point.
À la question « pourquoi est-ce important pour vous de rendre hommage aux journalistes de Charlie Hebdo ? », ils nous ont répondu :
« Je suis venu par engagement. Et peut-être aussi parce que j’ai peur. J’ai peur que tout cela débouche sur des réactions démesurées. Il y a un problème de « déresponsabilité » devant les libertés. Peut-être qu’on a tellement de libertés qu’on en vient à oublier celles des autres. J’aime cette phrase de Paulo Coelho : « La liberté n’est pas l’absence d’engagement, mais la capacité de choisir. » Yassir, 36 ans.
« Ceux qui sont morts sont innocents. On pouvait très bien ne pas être d’accord avec Charlie Hebdo sur la forme mais c’est inadmissible d’être tué pour ce que l’on pense ». Amal, 24 ans.
« On ne peut pas garder le silence devant des discours de haine » Guillaume, 29 ans.
« Mon fils m’a dit : « on en a discuté dans la cour de récréation. Certains ont dit, c’est bien fait pour eux « . C’est ahurissant. Ces enfants de 10 ans entendent sans aucun doute cela chez eux. » Anonyme.
« Ce n’est pas l’Islam, ça ! », un chauffeur de taxi rabati à propos des assassinats perpétrés jeudi 7 janvier.
E.O