Déchéance de nationalité pour les binationaux : une mesure efficace pour lutter contre le terrorisme?

L’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français et reconnus coupables d’actes de terrorisme a provoqué un débat virulent. Selon le sociologue Farhad Khosrokhavar, ce projet de loi remet en cause le principe de citoyenneté et pourrait avoir « des conséquences ravageuses ».

La France a été touchée, voire meurtrie, par les terribles attentats qui ont endeuillé Paris et Saint-Denis, le 13 novembre dernier. En réponse, François Hollande a annoncé une révision de la Constitution devant le Congrès, proposant notamment la déchéance de nationalité pour les personnes binationales reconnues coupables d’actes terroristes. Farhad Khosrokhavar le dit sans ambages : pour lui, c’est une mesure populiste de la gauche, inefficace dans la lutte contre le terrorisme. Le sociologue franco-iranien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, répond à nos questions.

Echos d’Orient : La déchéance de nationalité pour les personnes binationales est-elle une mesure efficace pour lutter contre le terrorisme en France?

Farhad : On imagine qu’ôter la nationalité française à des terroristes va permettre de les expulser du territoire. C’est faux! Ils sont inexpulsables parce qu’ils sont d’origine soit d’Afrique du Nord, soit Afrique noire ou du Moyen-Orient où ils risquent d’être mis à mort ou torturer. La France, tenue par les droits de l’homme, est obligée de les garder en résidence surveillée.

Les terroristes peuvent-ils être dissuadés à l’idée d’être déchus de leur nationalité française?

Les terroristes qui sont radicalisés et qui veulent mener la lutte contre l’Occident et la France ne seront en rien dissuadés par cette loi : ils veulent avant tout mourir et tuer. La mesure n’a aucun sens pour prévenir les futurs radicalisés de tremper dans le jihadisme.

cette mesure induit un amalgame dangereux entre binationaux et terroristes

Que peut-on craindre?

La principale crainte est l’extension de la déchéance de la nationalité à d’autres délits ou crimes. Il n’y aura plus de barrière. Par ailleurs, je pense que voter une loi de cette nature peut avoir des conséquences ravageuses. Elle introduit finalement la notion de citoyens de rang inférieur par rapport à des « mononationaux ». La citoyenneté et le principe d’égalité de chaque citoyen devant la loi sont clairement remis en cause. Par ailleurs, cette mesure induit un amalgame dangereux entre binationaux et terroristes.

Vous évoquez des conséquences ravageuses. De quoi s’agit-il?

Cette mesure introduit une sorte de division entre les Français : ceux qui sont de souche et les binationaux. L’appartenance à la nation deviendrait donc conditionnelle, introduisant une conception malsaine de la citoyenneté. Nous n’assistons pas à une droitisation du socialisme, mais une extrême droitisation, elle discrédite les socialistes qui risquent de perdre leur légitimité.

En quoi cette mesure remet-elle en cause la légitimité du gouvernement socialiste?

Ce projet de loi est inadapté et populiste de la part des socialistes. Elle avait été proposée par le Front national et les socialistes y étaient fermement opposés. D’ailleurs, aujourd’hui encore, une partie de socialistes s’y oppose. Je crois que le gouvernement essaye d’avoir des voix de droite pour suppléer à son manque de majorité au Parlement.

À votre avis, quels autres moyens pourraient contribuer efficacement à la lutte contre le terrorisme?

Par exemple, la notion d’indignité : lorsqu’une personne a été jugée, elle garde sa nationalité française, mais elle ne peut plus voter et ses droits lui sont retirés. Il faudrait aussi créer des centres de déradicalisation pour essayer de convaincre les jeunes, leur montrer que ce n’est pas la bonne voie et faire en sorte qu’ils changent d’avis grâce à des discussions et des débats. Faire ce que font les autres pays comme le Danemark, l’Angleterre ou la Norvège qui tentent de parer à cette forme de problème social de manière beaucoup plus constructive.

A.B

BIO express

Farhad Khosrokhavar, une vie entre la France et l’Iran

1948 : naissance de Farhad Khosrokhavar à Téhéran en Iran

1970 : première année universitaire à Montpellier en France

1974 : obtention de son diplôme et publication de sa thèse « du rapport entre finitude et vérité chez Heidegger »

1980 : de retour en Iran, il enseigne la sociologie à l’Université de Buali à Hamadhan

1987 : l’enseignant revient en France et intègre l’Ecole de hautes études en sciences sociales où il devient maître de conférence et directeur d’études

1993 : publication de son travail d’études, en trois volumes, sur l’usage des enfants martyrs pendant la guerre Iran-Irak

2014 : après la publication de ses recherches, il s’intéresse à des très nombreux aspects de l’islam en France et ailleurs. Il publiera notamment « Radicalisation », une synthèse de recherches sur le terrorisme.

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