Sous les dorures d’une Coupe du monde qui se voudrait n’être que fête, samba et chants de supporters, se cachent les revendications d’un pays meurtri que tentent de museler les autorités brésiliennes et les puissances internationales venues faire du Brésil leur terrain de jeu pendant un mois.
Des dépenses faramineuses
La pauvreté est immense au Brésil. Les Favelas, ces bidonvilles entassés à flanc de collines et tenus par des bouts de ficelles et d’amas de tôle s’étendent parfois à perte de vue aux abords des grandes villes que sont Rio de Janeiro ou São Paulo.
Ces Favelas sont souvent « bâties » de manière illégale sur des zones insalubres, la plupart du temps marécageuses ou sur terrain très incliné. Historiquement, ce sont les familles pauvres et noires brésiliennes qui se sont vues repoussées en périphérie des villes. Plus de 11 millions d’habitants y vivraient encore aujourd’hui.
Alors quand trois milliards d’euros sont dépensés pour construire (ou rénover) des stades de football… On a beau aimer le ballon rond et vénérer certains joueurs comme des dieux, cette dépense semble aujourd’hui hors-jeu pour de nombreux brésiliens.
Une coupe trois fois plus chère qu’en 2006
Si la colère gronde, c’est aussi que ces constructions ont déjà coûté plus cher que prévu. Notamment en ce qui concerne les infrastructures liées à la Coupe du monde (accès, hôtels, …) qui, elles, vont coûter la bagatelle de huit milliards d’euros… Armés de ce béton, les habitants des favelas en auraient construit des maisons et des abris anti-misère… Et nombreux sont ceux qui auraient préféré un aménagement des services publics, notamment les transports, devenus vétustes, vieux voire dangereux, plutôt que d’avoir un stade flambant neuf dans lequel ils n’iront probablement jamais (voir plus bas).
Selon une estimation récente, cette Coupe du monde devrait être facturée, finalement, 10,3 milliards d’euros, soit presque trois fois plus que l’édition allemande de 2006 et près de quatre fois plus que le Mondial sud-africain de 2010.
La corruption est une des raisons qui expliquerait ces coûts astronomiques. En effet, il semble que de nombreux intermédiaires se servent au passage et grattent un peu de l’or de cette Coupe du monde pour choisir tel ou tel prestataire, orienter vers tel ou tel projet…
La Coupe du monde, un zoom planétaire
Et pendant ce temps, la presse étrangère semble découvrir la misère brésilienne et la violence qui règne en maître dans certains quartiers délabrés des mégalopoles du pays sud-américain. Dans l’Etat de Rio de Janeiro, on recense 500 homicides volontaires en moyenne par mois pour 17 millions d’habitants. C’est l’un des taux de criminalité le plus élevé du monde.
Cette fête du football internationale a au moins le mérite de mettre un coup de projecteur sur tout un pays, y compris sur ses facettes les moins brillantes. La tentation est même immense de se servir de cet événement planétaire qui n’a lieu, faut-il le rappeler, que tous les quatre ans, pour attirer l’attention et surtout avoir un moyen de pression : empêcher le bon déroulement de cet événement. Mais comme le scandait avec un certain mépris une partie de la droite française, dite « décomplexée » : « ce n’est pas la rue qui gouverne » ou encore « quand il y a une manifestation, personne ne s’en rend compte. »
Le mépris des puissants
Toute la condescendance et le mépris de l’occident a d’ailleurs été récemment concentré dans la sortie sans scrupule du Président de l’UEFA en marge de la conférence de presse du comité de pilotage de l’Euro 2016 :
« Il faut absolument dire aux Brésiliens qu’ils ont la Coupe du monde et qu’ils sont là pour montrer les beautés de leur pays, leur passion pour le football et que s’ils peuvent attendre un mois avant de faire des éclats un peu sociaux, bah ce serait bien pour le Brésil et puis pour la planète football, quoi. Mais bon, après, après on maîtrise pas, quoi. » Michel Platini le 25 avril 2014. Et l’ancien numéro 10 de surenchérir : « On a été au Brésil pour leur faire plaisir. (…) Tout le monde se fait une joie d’aller à la Coupe du monde au Brésil. Eh bien, les Brésiliens, il faut qu’ils se mettent dans l’idée de recevoir les touristes du monde entier et que pendant un mois, ils fassent une trêve. Pas des confiseurs, mais qu’ils fassent une trêve ». De sa capacité à remarquablement tirer les coups francs, l’ex-meneur de jeu des Bleus a su conserver sa capacité à mettre des coups, et des francs de surcroît. Cessez donc d’être pauvres pendant la durée de la Coupe du monde enfin ! Cessez donc de souffrir, d’avoir faim et de vouloir dormir sous un toit, allons !
Fifa go home !
La réponse est arrivée par la rue. La Coupe a commencé mais les manifestations ont continué avec une recrudescence des messages hostiles à cette « coupe de riches » à travers des banderoles explicites comme « FIFA GO HOME » brandies par les manifestants. On peut aussi entendre des slogans rappelant que neuf ouvriers sont morts pendant la rénovation et la construction des stades. Et que près de 250 000 personnes ont été déplacées pour construire les infrastructures nécessaires à la compétition.
Alors rien d’étonnant à ce que les manifestants soient prêts à en découdre avec des forces de l’ordre mal formées et recrutées à la va-vite avec le danger, chaque jour, que les affrontements dégénèrent tant les manifestations sont parfois réprimées violemment. Les mouvements sociaux se sont amplifiés depuis un an mais les racines du mal sont lointaines.
Les racines du mal
Depuis 2005, les prix ont augmenté de 55% au Brésil… !
Le coût des transports et du logement ont flambé et enflammé tout le pays. C’est d’ailleurs la hausse du ticket de bus à São Paulo qui a déclenché les premières manifestations en juin 2013, autour du mouvement Passage libre, qui revendiquait la gratuité des transports. S’en est suivi des campings sauvages pour dénoncer le mal-logement. Sous la présidence de Lula, la croissance a tiré le pays vers le haut. Mais le salaire minimum étant indexé sur la croissance (et l’inflation), il a suivi, entraînant une hausse des prix des produits pour compenser la hausse des salaires et donc une inflation… Ajoutez à cela la hausse des financements publics et donc de la dépense de l’Etat pour l’organisation de la Coupe du monde…
Des millions de brésiliens sont sortis de la pauvreté sous la présidence de Lula et l’augmentation fulgurante des prix leur fait craindre un retour en arrière…
Des brésiliens exclus de leur propre Coupe
Sans compter que la plupart des brésiliens eux-mêmes sont exclus de ces stades onéreux… Car, si la FIFA a consenti à mettre en vente des places à tarif réduit pour les supporters locaux, le pack proposé pour suivre la sélection brésilienne jusqu’en finale coûte deux fois le salaire mensuel moyen brésilien.
La plupart d’entre eux vont donc se retrouver autour d’un poste à l’image grésillante et instable pour tenter de suivre le plus gros événement sportif de la planète.
Pour le moment, dans ce pays où le football est roi, la majorité semble vouloir préférer supporter leur équipe plutôt que la cause sociale. Mais si le Brésil venait à sortir de la compétition alors… Alors peut-être que nous aurons droit à un printemps brésilien et que le ballon rond deviendrait un énorme pavé dans la mare des puissants…
G.A