Quatre ans après le succès du film Intouchables, Omar Sy revient en France avec un personnage fort, qui s’inspire également d’une histoire vraie. Celle du clown Chocolat. Un destin aussi passionnant que tragique que nous fait découvrir Omar Sy. Celui de Rafaël Padilla, premier artiste noir dans la France coloniale, dont la seule façon de se battre contre les préjugés est le rire. Un point commun avec l’une des personnalités préférées des Français, qui à travers le choix de ce nouveau rôle, fait revivre un artiste disparu de la mémoire collective. Ce film a le mérite de redonner vie, espoir et de mettre en lumière le premier artiste noir en France oublié de tous. Le parcours d’un enfant né esclave et qui devient la coqueluche de Paris. Bien plus qu’un hommage, ce film rétablit une certaine justice et prise de conscience.
Échos d’Orient : Lorsqu’on vous a proposé de jouer le rôle de Chocolat, quelle a été votre première réaction?
Omar Sy : Je me suis dit : « Qui est cet homme? » J’avais envie d’en savoir plus et plus j’en apprenais sur lui et plus j’étais fasciné. L’histoire de Chocolat m’a touché. Naître esclave, s’échapper et devenir un artiste, c’est un parcours incroyable. Et je me suis dit : « Comment a-t-on pu l’oublier? Comment est-ce possible? » Et j’ai eu ce sentiment d’injustice en me disant : « Comment a-t-on pu oublier cet homme-là pour son parcours artistique et en tant qu’homme? » Et j’ai eu envie de raconter son histoire. J’ai aussi ressenti une forme de culpabilité de ne pas avoir entendu parler de lui avant. Il a fallu cent ans pour faire un film sur son histoire, c’est à la fois triste et injuste. Aujourd’hui je suis très ému et heureux que l’on puisse mettre en lumière son histoire à travers ce film.
Derrière le clown Chocolat, il y a l’homme Rafaël Padilla , qu’est-ce que vous retenez de ce personnage et en quoi es t’il proche de vous?
Est-ce qu’il est proche de moi? C’est une grande question. Ce que je retiens de lui, c’est que c’est un homme qui selon moi a eu beaucoup de courage, une force incroyable et cette force-là est sa dignité qu’il a su garder jusqu’à la fin de ses jours, une prise de conscience qui lui a coûté cher. Il vivait dans une époque très difficile et il a su garder une grande dignité et pour moi ça, c’est très honorable. J’ai beaucoup d’admiration envers lui pour toutes ces raisons. Je suis un artiste comme lui et je comprends ce que signifie vouloir grandir et s’émanciper en tant qu’artiste et éviter les étiquettes que l’on nous colle. Ça oui, je le comprends et le ressens. Ça a été l’un des premiers artistes noirs et je suis aussi l’un des rares en France aujourd’hui.
Justement en tant qu’artiste noir, il devait aussi prouver plus que les autres…
Oui, c’est une réalité et cette réalité était encore plus grande à son époque où l’homme noir était considéré comme un sous-homme. Au-delà de vouloir être reconnu en tant qu’artiste complet, il fallait aussi qu’il soit reconnu en tant qu’homme, il y avait aussi ce combat-là. Je peux comprendre un artiste qui doit tant prouver. J’ai grandi à devoir toujours prouver et en même temps, c’est ce qui fait qui je suis aujourd’hui.
Je comprends ce que signifie vouloir s’émanciper en tant qu’artiste et éviter les étiquettes que l’on nous colle
Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans le travail artistique du clown et notamment dans la scène d’Othello?
La scène d’Othello a été la plus difficile à jouer! Le théâtre est quelque chose qui me fait peur et aussi pour les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure. On revient sur ce sentiment de légitimité et de doute, à se poser toujours la question de savoir si c’est bien ma place, à me demander si on va me juger, est-ce que je vais y arriver ou pas, les préjugés… Il y a toujours cette crainte qui reste présente. Même après le tournage, je n’étais pas rassuré, il a fallu que je voie le film et même après ce n’était pas réglé. Au-delà de ma personne, il y a aussi mon personnage Rafaël Padilla, que je mettais en danger si je n’arrivais pas à faire cette scène d’Othello. C’était une vraie responsabilité. Pour les scènes du cirque, j’avais James qui était ma locomotive et je n’avais qu’à le suivre !
Et si on vous propose de jouer au théâtre?
Je m’en vais en courant! (Rires) J’ai beaucoup de respect pour le théâtre et c’est la raison pour laquelle je prendrais le temps de la réflexion. Mais dès que je me sentirai prêt, pourquoi pas!
Comment définiriez-vous la relation entre Chocolat et Footit?
Pendant quatre semaines, nous avons travaillé sur les numéros. Ils devaient être prêts et bons. Il fallait que techniquement je sois prêt, car les arts du cirque ce n’est pas mes racines, contrairement à James. Au-delà de ça, il fallait créer un lien entre James et moi, car les deux personnages l’avaient. Il y avait quelque chose de fort entre eux. Et pour avoir fait partie d’un duo avec Fred, je connais ce lien qui peut lier un duo. On devait faire connaissance et trouver la complicité entre nos personnages. Il y a eu des moments de joie, de discutions, mais aussi de dispute, mais c’était très intéressant et intense. À la fin, j’ai réussi à retrouver des repères, par exemple avec le duo que j’avais constitué avec Fred, tout se passait dans le regard et j’avais aussi retrouver ça avec James, cette complicité dans le regard.
Vous êtes l’une des personnalités préférées des Français, vous dites souvent culpabiliser et ne pas vous sentir à votre place, pourquoi ce sentiment?
À partir du moment où on ne se sent pas légitime, on a l’impression de ne pas le mériter, on se demande : « Pourquoi moi? » Mais cela fait un moment que je vis avec ce questionnement. Ce film m’a fait avancer dans ma réflexion et en écoutant aussi les autres témoignages, je me dis que c’est lié à chaque artiste, on a tous cette question de doute, de remise en question, de savoir si on est légitime ou pas dans ce métier. Finalement, c’est ce qui fait qui nous sommes et là où nous sommes aujourd’hui. On essaie de se débarrasser de ce sentiment parfois lourd à porter, mais finalement le jour où on le perd, on perd tout. Donc faudrait peut-être mieux le garder…
Que souhaitez-vous que le public retienne de ce film?
L’espoir, même si le film se termine mal. Raconter aujourd’hui cette histoire, réparer cet oubli, je trouve cela positif qui va plus dans l’ordre de l’espérance que du désespoir. Dans cette histoire, il y aussi une formidable histoire d’amitié et aussi une très belle histoire d’amour avec sa compagne Marie qui était une femme forte et formidable pour son époque, qui a divorcé pour se mettre avec Raphaël, un homme noir, ce qui à l’époque, en plus du divorce, était très difficile. L’amour était très fort et tout ça donne de l’espoir. On aime malgré nous, ça nous dépasse, c’est plus fort que nous et c’est cela que je trouve beau.
Si vous aviez eu l’occasion de rencontrer Chocolat, que lui diriez-vous?
Je lui dirais que c’est un artiste extraordinaire qui a su créer dans une atmosphère très hostile quelque chose de très fort avec une très belle arme qui est celle du rire. Je lui dirais : « Bravo et respect. »
Dans le film, Chocolat fait preuve de beaucoup de volonté, vous êtes aussi comme ça?
Oui je crois l’être en tout cas pour les choses qui me tiennent a cœur.
F.C
Synopsis du film Chocolat
Du cirque au théâtre, de l’anonymat à la gloire, l’incroyable destin du clown Chocolat (Omar Sy), premier artiste noir de la scène française. Le duo inédit qu’il forme avec Footit (James Thierrée), va rencontrer un immense succès populaire dans le Paris de la Belle époque avant que la célébrité, l’argent facile, le jeu et les discriminations n’usent leur amitié et la carrière de Chocolat. Le film retrace l’histoire de cet artiste hors du commun. Un film de Roschdy ZEM. En salle le 3 février 2016.