Comment le Front National et son nouveau symbole, Steeve Briois, ont-ils réussi à s’installer sur le trône de l’Hôtel de ville dans une municipalité rongée par la misère et les affaires. Le Bassin minier devenu terrain miné où les idées banalisées par des politiques avides de pouvoir ont fini par prendre racine.
De l’or noir à l’horreur
Le Nord-Pas-de-Calais fût en son temps l’Eldorado des chercheurs d’or noir, le charbon pioché dans les tréfonds de la terre souvent au péril de la vie des mineurs. La vie était alors organisée autour de cette industrie, de véritables villes et villages se sont construits autour des mines, cités dortoirs des pionniers aux gueules noires. Les maisons, les loisirs, les commerces étaient régis par les tout-puissants employeurs gérant les mines et les vies des mineurs.
Et puis les mines ont fermé une à une, jusqu’à la dernière, transformant les paysages lunaires en friches tristes et désertées. Les mines ont fermé, reste les hommes et les femmes, les travailleurs, parfois immigrés. D’autres fleurons industriels, en métallurgie ou en textile, ont eux aussi fermé leurs portes, laissant derrière eux rancunes et misères que les crises récentes, et celle que nous traversons aujourd’hui encore, ont fini d’enfoncer.
Un peuple ouvrier baladé de gauche à droite
Longtemps, le monde ouvrier fut la « proie » des Partis de Gauche mais depuis quelques années maintenant, le Front National a dirigé son discours vers cette population, mélangeant allègrement la lutte des classes avec l’immigration, juxtaposant le nombre de chômeurs à celui présupposé des immigrés. Renvoyant la faute sur les Partis qui dirigent localement ou nationalement, les rendant coupables, selon eux, de cette chute sans fin. Et la Gauche n’a plus réussi à être crédible pour sortir les 18% de chômeurs d’Hénin-Beaumont de leur pauvreté ; même Jean-Luc Mélanchon, parachuté là en 2012 pour faire face à Marine Le Pen s’y est brûlé les ailes.
Tous pourris…
Le PS tenait la ville depuis 1945, autant dire une éternité. Durant cette éternité, un maire s’est particulièrement distingué des autres, Gérard Dalongeville, qui de 2001 à 2009 a creusé le tombeau du socialisme en se rendant coupable (et jugé : quatre ans de prison, dont trois ferme, et à 50.000 euros d’amende pour détournement de fonds public) de : « dix-huit détournements de fonds publics, onze délits de favoritisme, six usages de faux et une corruption passive ». Une aubaine pour le FN qui surfe sur la vague du « tous pourris, sauf nous ». Ajoutez à cela les affaires cinglantes et bruyantes qui éclatèrent au niveau national, éclaboussant l’UMP autant que le PS, d’un Cahuzac menteur à un Sarkozy mouillé dans diverses affaires, et c’est toute la classe politique qui en pâti…
Une pièce de plus dans la machine du ras le bol. C’est le FN qui récupère la monnaie.
Un lit de misère
A Hénin Beaumont la misère est palpable, visible. Elle s’est aggravée autant que la crise s’est installée. Les municipalités en place n’ont pas su répondre à ces problèmes et à la paupérisation des classes ouvrières dont la colère sera habilement récupérée par le candidat FN qui milite et traîne ses guêtres bleu-blanc-rouge depuis 20 ans dans la ville sinistrée. Il est soutenu par la numéro 1 du parti, Marine Le Pen, élue plusieurs années dans ce bastion, qui a arpenté les pavés de la ville et joué la carte de la proximité.
Cette misère-là ne va plus vers le communisme de Victor Hugo mais, dorénavant, exprime sa douleur en glissant la flamme tricolore dans l’urne, dans l’espoir de mettre le feu aux poudres, « pour que ça change ».
Un FN maquillé…
Longtemps le Front National fut la bête noire de la politique, celle face à qui le front républicain se dressait comme un seul homme pour lui faire barrage. Ce temps était celui de Jean-Marie Le Pen, l’infréquentable. Puis est arrivée Marine, plus consensuelle, moins « grande gueule ». Elle pèse et mesure ses propos, tente de se rendre fréquentable, s’éloigne des diatribes haineuses et des « dérapages » (contrôlés) de son père. Marine Le Pen a décidé de faire d’Hénin-Beaumont son fief législatif, venant parader dans la cité abandonnée, soutenant son candidat fétiche, Steeve Briois qui ne cesse de grimper les marches du perron de l’Hôtel de ville.
Un FN banalisé…
Longtemps le FN et ses idées furent condamnés jusqu’à ce qu’un Président se revendiquant de la droite décomplexée se mit à les écouter jusqu’à les réutiliser dans ses propres discours. Cinq années de sarkozisme ont eu pour conséquence de banaliser les idées du Front National. Pendant cinq années de stigmatisation de l’islam, de l’immigration, de recherche d’une « identité nationale », l’UMP a alors déroulé un tapis rouge pour les idées jadis pestiférées du Parti d’extrême-droite. Pour la première fois dans l’histoire de la Droite française, les ponts étaient devenus visibles et évident entre les deux Partis. Certains politiques ne se sont d’ailleurs pas gênés pour les emprunter, passant d’un clan à l’autre et contribuant ainsi à brouiller les repère et les pistes.
Dès lors, le FN devenant fréquentable, ses idées acceptables, ses candidats devenaient éligibles, et même dès le premier tour. Alors qu’un Jacques Chirac, malgré ses accidents de parcours, a toujours demandé à ses candidats de se retirer lors d’une triangulaire pour éviter à tout prix qu’un candidat FN puisse être élu, dussent-ils le faire au profit de l’ennemi socialiste, depuis Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé, la donne a changé : plus de « front républicain », plus question de rejeter le Parti d’extrême-droite par tous les moyens.
Une réalité propice à la colère…
La crise tenace, les affaires politiques, un système en roue libre qui génère des exclus par millions, un sentiment d’insécurité économique et sociale, le terrain est miné, prêt à exploser. Le Président actuel avec la côte de popularité la plus basse de tous les temps, le bout du tunnel semble inexistant… alors nombreux sont ceux qui choisissent de mettre un coup de pied dans tout ça, espérant que cela fera assez mal pour que les choses changent…
Désindustrialisation, pauvreté, corruption et affaires, banalisation des idées par les plus hauts représentants de l’État, stigmatisation d’une partie de la population, crise lourde et capitalisme qui s’effondre, et l’on reparle du « vote sanction », du vote de colère pour ne pas croire qu’il puisse s’agir d’un vote conscientisé et légitimant les idées d’extrême-droite. Le FN a pris racine à Hénin-Beaumont sur un terrain miné, mais mettre le feu à une terre ne donnant plus de blé ne la rendra pas plus fertile…
G.A