Salma Hayek: le septième art au féminin

Actrice, productrice, emblème du cinéma et de la cause féminine, Salma Hayek replace la femme au centre de l’industrie cinématographique. Membre du Conseil d’administration de la Fondation Kering, dont l’objectif est de lutter contre les violences faites aux femmes, Salma Hayek met en lumière un épiphénomène mondial. Rencontre avec celle qui rayonne en tant qu’activiste pour les droits des femmes.

Échos d’Orient : Quel état des lieux dressez-vous aujourd’hui sur les violences faites aux femmes?

Salma Hayek : Le plus gros problème, c’est que, parfois, lorsque les violences ont lieu depuis un certain temps, on les accepte, comme si c’était normal, on s’y habitue. Sur le plan culturel, il y a toujours différentes formes de violences, et les gens ne le voient pas forcément. Il y a des pays dans lesquels il est évident que les femmes subissent des violences phénoménales. Cela fait seulement très peu de temps que l’on parle des inégalités salariales par exemple. On ne le voit même pas encore comme une forme de violence, parce que c’est ancré dans la société, on pense que c’est normal. Le fait d’en parler change la donne, on essaye de changer cette « normalité » en faveur de plus d’égalité.

Quel est votre regard en tant qu’actrice?

J’ai un passif concernant ce sujet, j’ai été activiste pour les droits des femmes avant d’être actrice, et quand on est activiste, on prend pleinement conscience de l’ampleur des violences faites aux femmes. J’avais donc déjà une autre vision des choses sur ce sujet, avant d’être actrice. Je suis arrivée à Hollywood en étant non seulement une femme, mais aussi une Arabo-Mexicaine. C’était il y a 26 ans, les gens se moquaient de moi, de mon rêve. J’ai fait le conservatoire Stella Adler, j’étais la seule Mexicaine à s’y essayer, si l’on fait exception de Venicio Del Torro, qui, lui, était Portoricain, et en plus c’était un homme, donc personne ne se moquait de lui. Même au Mexique, on se moquait de moi, à l’idée de me voir essayer à rentrer dans ce milieu. Le milieu hollywoodien est particulièrement machiste. Quand ils se rendent compte que tu n’es pas stupide, au contraire, que tu es intelligente, leur haine n’en est qu’amplifiée. C’est comme s’ils s’étaient offert un petit singe, qu’ils se rendaient compte que le singe parle, et qu’ils se disaient: « Mon Dieu, ce singe parle, on va pouvoir gagner de l’argent grâce à lui! » et puis un jour ils surprennent le petit singe en train de résoudre des équations, et là, c’en est trop, ils le tuent. C’est très violent, mais ça met en lumière le problème que l’on a avec les femmes derrière les caméras, les directrices, les productrices.

Je suis arrivée à Hollywood en étant une femme, une Arabo-Mexicaine, les gens se moquaient de moi

Durant le Festival de Cannes, seuls 7 % des films représentés sont dirigés par des femmes, et ça peut descendre encore plus bas lorsqu’il s’agit de blockbusters

Je pense que c’est juste à cause de l’ignorance. Et une partie de cette ignorance vient du fait que ça fait tellement longtemps que l’on a été négligées que les gens ne savent même plus ce que l’on souhaite voir changer. Nous constituons un pouvoir économique majeur et on possède une audience énorme. On nous néglige même en tant qu’atout économique. 80 % des acteurs décisionnels en matière de choix de films sont des femmes. On paye pour ces films, et maintenant, on travaille, on possède un salaire, on est indépendantes. On est les plus grandes consommatrices dans tout! Pourtant, personne ne mise sur nous, donc pour moi, c’est de l’ignorance.

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur la Fondation Kering, dont vous êtes membre?

On va fêter les dix ans de la fondation, on se focalise sur les violences faites aux femmes et on le fait de quatre façons : on soutient des organisations locales; on entraine des centaines de personnes à créer un système combattant les inégalités, on encourage la propagation des connaissances; on lance des campagnes de sensibilisation; on essaye d’impliquer de nouvelles personnes un peu plus chaque jour.

Vous pensez que les producteurs de cinéma écoutent ce genre de discours?

Je pense qu’ils l’entendent et qu’ils paniquent! On les sort de leurs habitudes, ils ne comprennent que le langage de l’argent. Mais ils commencent à réaliser que l’argent est là où les femmes se trouvent.

Pensez-vous que l’industrie cinématographique peut changer?

Ça a déjà un peu changé, mais ça va prendre beaucoup de temps avant de changer vraiment. J’ai déjà l’impression qu’ils écoutent un peu plus nos idées, mais on est encore loin du compte. Rien que les deux dernières années, j’ai eu le sentiment qu’il y avait déjà plus de femmes productrices représentées durant le Festival de Cannes.

Au Moyen-Orient, la femme tient une place importante dans le renouveau cinématographique, comment analyser cette évolution?

On pense souvent qu’au Moyen-Orient les femmes sont les plus opprimées.  Savez-vous que le Doha Film Institute et le Doha Film Festival sont dirigés par trois femmes puissantes qui ont fait évoluer le cinéma du Moyen-Orient à toute vitesse ! Elles ont changé l’industrie du cinéma au Moyen-Orient. L’industrie du cinéma a depuis explosé. Les deux dernières années, sept films ont été présentés au Festival de Cannes, mais personne n’en a entendu parler. Ces trois femmes viennent du Qatar, où elles portent la burqa, alors qu’aux États-Unis, on se bat chaque jour pour le moindre petit poste. Ces trois femmes musulmanes, elles, réinventent le cinéma et ouvrent les esprits! Elles promeuvent les talents.  Faire du cinéma, c’est aussi créer un public et donner la possibilité de changer les mentalités!

Accepteriez-vous de jouer dans un film entièrement produit par des femmes?

Oui, mais pas parce que ce sont des femmes. J’accepterai de jouer dedans si elles sont compétentes dans le domaine. Ce n’est pas une question de genre, c’est une question de potentiel. Comme tout le monde, il faut savoir gagner sa place dans le milieu, peu importe le sexe.

Pourquoi ça semble si compliqué de confier des films à gros budgets à des femmes?

80 % des subventions que l’Europe donne aux producteurs dans le domaine cinématographique reviennent à des hommes. Il y a encore beaucoup à faire, mais je veux bien admettre que la France est un des pays qui en fait le plus dans ce domaine. Notre priorité avec la fondation Kering n’est pas uniquement basée sur les films, il y a tellement de choses horribles qui se passent dans le monde. Nous voulons changer les choses dans leur ensemble.

CHIFFRES CLES

1 femme sur 3 dans le monde est victime de violence, d’abus sexuels et d’autres sévices au cours de sa vie

Plus de 70% des auteurs de violences faites aux femmes ne sont pas condamnés

Aux Etats-Unis, 1 jeune femme sur 5 est victime d’agression sexuelle pendant ses études universitaires. 

En Asie, 41% à 61% de femmes sont victimes de violences domestiques

Source : www.kering.com

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