Akrame Benallal, étoile de la gastronomie française

Il est le plus jeune chef étoilé de l’hexagone. Akrame Benallal fait partie de cette nouvelle génération de chef qui fait bouger les lignes. Passionné, créatif, amoureux des autres et de la vie, sa cuisine est unique. Une signature personnelle qu’il a su travailler avec talent. Akrame se traduit « le plus généreux », une définition approprié pour celui qui aime rassembler et transmettre. Rencontre avec celui qui a fait de son entreprise, un état d’esprit. 

Échos d’Orient : 35 ans, 2 étoiles, 10 établissements. Vous appartenez aux hautes sphères de la gastronomie française. On vous qualifie de « chef de référence ». Selon vous, quel est le secret pour perdurer dans ce métier? 

Akrame : Savoir bien s’entourer ! Tout est une question d’hommes et j’ai la chance d’avoir toujours été quelqu’un de bien entouré. Je ne suis pas un patron, je suis un entrepreneur. Je ne suis pas un boss, je suis un leader. On ne fait rien tout seul. L’entrepreneuriat est pour moi vital, ça fait partie de mon ADN. J’ai su donner de la valeur à mon travail, car je ne voulais pas me contenter de pouvoir uniquement faire que ce que je fais, je voulais aussi transmettre. J’ai une équipe incroyable, on est aujourd’hui un groupe et celui-ci a été créé pour apporter une vision globale sur la gastronomie et la restauration de demain dans toutes catégories, aussi bien dans le haut de gamme que dans les produits du quotidien. 

Comment est née votre vocation?

Je crois que j’étais prédit pour cela. Je dois tout à ma mère, car c’est elle qui m’a transmis l’amour de cuisiner. La cuisine est un instinct d’amour, c’est aimer les autres, aimer leur faire à manger. Aimer les recevoir. J’ai toujours été dans cette démarche-là. Tout ce que je fais, c’est par amour des choses. 

Vous qualifiez votre cuisine comme étant créative. Quelles sont vos sources d’inspiration?

Tout est source d’inspiration. L’humain, les échanges, l’art. La notion d’inspiration n’est en fait que ce que l’on perçoit soi-même de la vie. Je suis ouvert et impliqué dans ce que je fais et j’ai une soif de connaissance. Mon identité culinaire est personnelle. Ce que les gens retiennent quand ils viennent manger chez moi, c’est qu’ils ne voient pas cela ailleurs. 

Vous êtes le plus jeune chef doublement étoilé de l’hexagone. Comment vivez-vous cette distinction?

Le guide Michelin reste et restera pour moi le Graal. C’est la reconnaissance de tout votre travail, de votre parcours, d’où vous venez et c’est formidable. Les étoiles ont permis de confirmer notre travail. C’est une récompense personnelle, mais aussi pour l’équipe, c’est très important, ils sont fiers. On essaie de faire bouger les lignes. Je suis sur la «tradinnovation». La cuisine française a une très belle tradition et j’y incorpore l’innovation, car aujourd’hui, les gens voyagent et découvrent d’autres cultures et sont souvent dans la comparaison. La cuisine française a un atout incroyable, c’est son histoire, mais il ne faut pas s’endormir là- dessus. La tradition oui, mais l’évolution aussi. Et il faut apprendre à évoluer avec son temps. 

Vous avez passé les treize premières années de votre vie en Algérie, dans l’Oranais, quel souvenir en retenez-vous? 

Ça fait l’homme que je suis aujourd’hui. Mon père nous a abandonnés quand j’avais onze ans. On s’est retrouvés sans rien et il a fallu se battre pour y arriver. Mais je prends toujours plaisir à y retourner et je me dis que ca fait le combattant que je suis aujourd’hui. 

D’où l’une de vos phrases  » Nourrir les plus grandes ambitions, mais ne jamais oublier d’où l’on vient. » 

Oui ça vient de là. J’ai la chance de pouvoir faire un métier que j’aime et de faire des rencontres incroyables que je n’aurais jamais imaginées il y a encore dix ans. Tous les jours, je remercie la vie. À force de travail et quand vous avez au fond de vous toujours ce sentiment de vouloir toujours faire du bien autour de vous, la vie vous le rend bien. Les bonnes choses sont faites pour les bonnes personnes. 

Quel regard votre mère porte-t- elle sur votre parcours?

Elle est très fière. Elle est toujours là pour me guider, me conseiller et rien ne remplacera l’amour d’une mère. Il y a un plat que j’ai gardé d’elle que l’on mangeait souvent en Algérie : celui du vermicelle au lait. J’adore ça! Pour moi, c’est le plat trois étoiles par excellence! Je l’ai retravaillé ici au restaurant, avec de la truffe blanche et c’est un véritable succès! Il faut avoir la bonne température, le vermicelle cuit parfaitement, l’assaisonnement parfait, tout est un jeu d’équilibre. 

Vous avez travaillé chez Ferran Adrià, en Espagne où les chefs s’entraident et sont dans le partage. En France, ce n’est pas la même philosophie, pourquoi?

Dans la vie, il ne faut pas être égoïste. J’ai toujours fait les choses de façon instinctive. J’aime voir les autres réussir. Quand je travaillais chez Ferran Adrià, les chefs trois étoiles venaient passer trois semaines en cuisine avec nous. C’était incroyable. Cela implique de mettre son ego et sa fierté de côté. Je reste convaincu que cela arrivera aussi en France. Notre génération de chefs a pris tout ce qu’il y avait de meilleur chez les anciens chefs et a jeté tout le mauvais!

Nourrir les plus grandes ambitions, mais ne jamais oublier d’où l’on vient .

En novembre 2013, vous avez inauguré votre première adresse internationale, le restaurant Akrame à Hong Kong. Pourquoi le choix de cette ville?

Honnêtement, c’est le destin. Ce sont des personnes qui sont venues manger dans mon restaurant. Elles avaient fait toutes les tables à Paris. C’était des investisseurs. Ils ont aimé mon restaurant et m’ont proposé d’ouvrir à Hong Kong. Trois mois après, j’étais là-bas et j’ai signé mon contrat. Il faut savoir provoquer les choses, on n’attend pas que ça tombe du ciel. 

Votre communication s’articule autour de la notion de power, est-ce votre principal leitmotiv?

Oui, c’est un message très fort. Celui de ne rien lâcher, d’y croire et de foncer. J’aime les défis et me confronter à la vie. Le « power » est une énergie que je transmets à mes équipes pour qu’ils aient le sentiment de ne pas arriver juste dans une entreprise où l’on fait toujours la même chose. La routine m’angoisse. 

Certains pensent que nous irons vers une cuisine sans sel, êtes-vous de cet avis? Et comment voyez-vous l’avenir de la gastronomie française?

Oui, je le crois. Notre rôle est aussi dans le bien-être de nos clients, c’est important. La gastronomie française est une référence, mais il faut qu’elle évolue. Aujourd’hui, nous avons des atouts incroyables, nous avons un terroir et des producteurs exceptionnels. Je dis souvent que nous sommes les médiateurs de ces artisans. 

Vous avez une équipe jeune, quel est votre style de management?

Les pousser vers le haut. Je leur transmets énormément de responsabilités. Il faut avoir la capacité de déléguer, c’est une grande forme de recul sur soi-même et son travail. Je leur fais comprendre que ce n’est pas mon entreprise, mais notre entreprise. Je délègue, mais je veux du résultat. C’est important et fondamental que ces jeunes respirent l’entrepreneuriat. Ils ont une tâche à accomplir et doivent aller jusqu’au bout de celle-ci. J’ai fait un livret « Akrame power » qui décrit toute cette philosophie sur la transmission, le courage et l’état d’esprit. Ceux qui viennent travailler avec nous doivent savoir pourquoi ils viennent chez nous. 

Quel regard portez-vous sur cette jeunesse aujourd’hui debout dans la rue?

On ne montre pas assez de modèle de réussite. Ces jeunes ont peur d’un avenir qu’ils ne connaissent même pas. Je pense que c’est plutôt un ras-le-bol de tout, c’est le climat dans lequel on vit aujourd’hui. Je suis sûr que la plupart de ces jeunes n’ont même pas lu un mot du texte sur la loi El Khomri. Ils pensent que le patron n’est pas bien. On leur donne une image tellement négative de cette loi qu’ils ont l’impression qu’ils vont être utilisés comme des torchons jetables. Alors que pas du tout, on a besoin d’eux. La restauration est un milieu où il y a le plus d’offres d’emploi. C’est un métier très dur, mais c’est un passeport pour l’univers. Vous pouvez travailler dans le monde entier. Mais ces jeunes sont peut- être trop habitués à un certain confort de vie. Je me dis que finalement, il faut leur apprendre à cultiver le riz et non leur donner le sac de riz tous les jours. L’éducation a une part de responsabilité. 

Que souhaiteriez-vous transmettre à la nouvelle génération?

Un héritage d’éthique et de valeurs entrepreneuriales. La France est un pays incroyable et ils doivent être conscients de cela. Qu’ils regardent la chance qu’ils ont d’avoir ce pays qui, pour moi, est l’un des plus beaux pays au monde. Qu’ils apprennent à en faire un atout pour conquérir le monde et de se dire  » Nous, la jeunesse de France, il faut que l’on montre au monde entier que l’on est la Californie de demain.  » 

Que souhaitez-vous que l’on retienne de votre cuisine? 

Ce sentiment que vous n’êtes même pas partis et que l’on veut déjà revenir. 

Portrait chinois : 

Akrame, si vous étiez : 

Une épice : la cardamome noire 

Un plat : le vermicelle au lait 

Un personnage : Soulages 

Un livre: «Ce que lejour doit à la nuit » de Yasmina Khadra 

Un souvenir gourmand : la mouna, une brioche faite à Oran à base de fleur d’oranger et de gros sucre.

Fatima CHHIMA.

Restaurant Akrame, 7 rue tronchet 75008 Paris.

 

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